BOOKS - L'aviateur, Laguerre ou la paix et autres ecrits
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L'aviateur, Laguerre ou la paix et autres ecrits
Author: Antoine de Saint-Exupery
Year: June 24, 2015
Format: PDF
File size: PDF 536 KB
Language: English

Les roues puissantes ecrasent les cales. Battue par le vent de l'helice, l'herbe jusqu'a vingt metres en arriere semble couler. Le pilote, d'un mouvement de son poignet, dechaine ou retient l'orage. Le bruit s'enfle maintenant dans les reprises repetees jusqu'a devenir un milieu dense, presque solide, ou le corps se trouve enferme. Quand le pilote le sent combler en lui tout ce qu'il y a d'inassouvi, il pense : << C'est bien >> puis, du revers des doigts, frole la carlingue : rien ne vibre. Il jouit de cette energie si condensee. Il se penche : << Adieu mes amis... >> Pour cet adieu dans l'aube ils trainent des ombres immenses. Mais au seuil de ce bond de plus de trois mille kilometres, le pilote est deja loin d'eux... Il regarde le capot noir appuye sur le ciel, a contre-jour, en obusier. Derriere l'helice un paysage de gaze tremble. Le moteur tourne maintenant au ralenti. On denoue les poignees de main comme des amarres, les dernieres. Le silence est etrange quand on agrafe sa ceinture et les deux courroies du parachute, puis quand d'un mouvement des epaules, du buste on ajuste a son corps la carlingue. C'est le depart meme : des lors on est d'un autre monde. Un dernier coup d'oeil au tablier, horizon de cadrans, etroit mais expressif - on ramene, soigneux, l'altimetre au zero - un dernier coup d'oeil aux ailes epaisses et courtes, un signe de la tete : << Ca va... >>, Le voila libre. Ayant roule lentement vent debout il tire a lui la manette des gaz, le moteur, decharge de poudre, s'embrase, l'avion, happe par l'helice, fonce. Les premiers bonds sur l'air elastique s'amortissent et le pilote, qui mesure sa vitesse aux resilions des commandes, se propage en elles, se sent grandir. Le sol maintenant parait se tendre, filer sous les roues comme une courroie. Ayant enfin juge l'air d'abord impalpable puis fluide, devenu maintenant solide, le pilote s'y appuie et monte. Les hangars qui bordent la piste, les arbres puis les collines livrent l'horizon et se derobent. A deux cents metres on se penche encore sur une bergerie d'enfant aux arbres poses droits, aux maisons peintes, les forets sont encore epaisses comme une fourrure. Puis le sol se denude. L'atmosphere est houleuse, faite de vagues courtes et dures sur lesquelles l'avion bute et cabre, les remous le frappent aux ailes et tout entier il resonne. Mais le pilote le tient dans la main comme par le centre un balancier. A trois mille il gagne le calme. Le soleil se prend dans la mature, aucun remous ne l'y agite. La terre, si loin, se fige, immobile. Le pilote regle les volets, le correcteur d'air et le cap sur Paris calcule sa derive. Puis, se laissant engourdir pour dix heures, il ne se meut plus que dans le temps.

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